• Je suis toujours désolée quand, dans des revues ou des livres de dentelle dont le sérieux n'est pas à contester, je vois ce genre de chose dans des dentelles Torchon:


    Pourquoi diable les deux mats ne sont-ils pas identiques ?
    pourquoi celui de gauche est-il moins rempli que celui de droite ?
    parceque qu'il  n'est pas travaillé dans le bon sens

    Je me souviens, quand je découvrais la dentelle, avoir demandé quand je commençais un mat : "de quel côté faut-il aller avec les voyageurs ?".
    On me répondait : "ça n'a pas d'importance".
    S'il s'agit d'un carré en mat, ou d'un mat très large, effectivement cela n'a pas trop d'importance.
    Par contre s'il s'agit d'un mat étroit comme sur notre exemple, c'est important.



    Regardons d'abord le mat de droite.

    Il a été démarré vers la droite.
    On voit bien sur le schéma que dans un mat les voyageurs zigzaguent d'une épingle à l'autre, et sont alternativement en biais et à l'horizontale.

    Quand le mat est à l'horizontale, il va de l'épingle E vers l'épingle S.
              A l'épingle E, on entre une paire
              A l'épingle S, on sort une paire.
    Donc quand mes voyageurs sont à l'horizontale, j'entre une paire avant de sortir une paire.

    Ainsi, mon mat sera bien rempli. Il contient le maximum de paires passives possible.






    Regardons maintenant ce qui a été fait avec le mat de gauche.
    La dentellière a démarré son mat du même côté que le précédent.

    Donc, les voyageurs vont dans le même sens, mais comme le mat penche en sens inverse, on sort une paire avant d'en entrer une autre

    On a ainsi une paire passive de moins dans ce mat que dans le mat précédent --> il est donc moins rempli.

    (plus le mat est étroit, plus la différence sera visible)







    Si la dentellière avait démarré son mat de l'autre côté,  elle aurait fait ses entrées avant ses sorties, et donc le mat de gauche aurait été bien rempli et identique au mat de droite


    Encore faut-il connaître la règle :
    Dans la dentelle Torchon, quand les voyageurs sont à l'horizontale à un niveau où on a une entrée et une sortie sur la même ligne, les voyageurs doivent aller de l'entrée vers la sortie.


    (il s'agit de la règle pour la dentelle Tochon, mais elle peut être différente pour d'autres dentelles)




    Cette règle est la même pour la grille, même si la différence est moins perceptible en grille.
    Ainsi sur l'exemple qui suit, on remarque que la grille est bien remplie au début, puis qu'elle change de sens (sans que les voyageurs ne changent de sens) et on remarque que la deuxième partie est plus légère.
    La sortie des paires du coup n'est pas très belle, on voit de grandes barrettes un peu lâches, un peu molles.



    Et oui, si votre mat change de sens, il faut aussi que vos voyageurs changent de sens.

    Il y a des techniques pour cela, et si vous êtes intéressé(e)s, elles pourront faire l'objet d'un prochain article.



    (C'est le premier article de la catégorie "Techniques", et je profite de ce premier article pour faire passer un petit message personnel, pour remercier Mesdames CVS et MACB qui ne m'ont pas "appris" la dentelle, mais qui me l'ont "expliquée".  Elles ne m'ont pas dit "comment" il fallait faire, elles m'ont expliqué "pourquoi" il fallait faire de telle ou telle façon. Deux grandes dentellières que je remercie infiniment)





  • Voici une coupe persane  en céramique de Nishapur (Iran - Xème siècle)




















    Et le même oiseau ... en dentelle  (diam 18.5 cm)

     
    L'oiseau est fait en lin bockens 60/2.
    Le problème quand on veut utiliser des couleurs, c'est qu'il faudrait avoir toutes les couleurs sous la main, dans plusieurs marques, dans toutes les grosseurs, afin d'être sûre d'avoir la couleur voulue au bon moment,  car hélas les merceries en France n'ont pas de lin pour dentelle.

    Par facilité, j'ai opté pour la gamme des couleurs Bockens. Comme elle n'est pas très étendue, et comme certaines couleurs sont un peu criardes, je compose mes couleurs en mélangeant les fils.

    J'ai un peu triché pour cette dentelle. Je voulais utiliser une grosse cordelière brillante noire (on voit peu le relief sur la photo), mais si je la travaillais comme on travaille normalement le cordon, c'est à dire en même temps que la dentelle, elle était un peu écrasée et déformée.
    Le motif est donc entouré d'un étroit mat noir, relié à l'oiseau par des fausses tresses. Et j'ai cousu la cordelière dessus ... c'est pas très conventionnel mais tant pis.

    Les mouchetures à l'intérieur des ailes du modèle original m'ont tout de suite aiguillées vers l'utilisation d'un fond "gros flocons de neige".
    L'oeil de l'oiseau est aussi un flocon de neige.









  • Vous êtes sûrement très nombreuses à connaître le Musée de la dentelle de Retournac.


    Vous le connaissez sans doute au moins pour ses pochettes de modèles anciens : de superbes modèles, une mise en carte parfaite, avec au dos l'histoire du modèle, son origine,  le tout très joliment présenté .






    (Photo Musée de Retournac)


    Mais Retournac, c'est d'abord un Musée abrité dans deux anciennes manufactures de dentelle,
    Ce sont des collections de dentelles, de dessins, d'outils, de métiers à dentelles mécaniques, etc.
    C'est la préservation des techniques, du savoir faire, de la mémoire de l'industrie dentellière.
    Ce sont aussi des cours, des démonstrations, des colloques, des publications ...




    J'ai découvert le travail de recherche de l'équipe de Retournac à partir d'une de leur publication : "Rose Ouilhon, leveuse de dentelle".
    Je ne résiste pas à l'envie de vous en parler tellement la lecture de cet ouvrage a été un vrai moment de bonheur.
    J'ai réalisé  tout d'un coup que l'industrie dentellière, ce n'était pas de la préhistoire, c'était hier, elle est encore toute chaude !
    Une des dernières leveuses de dentelles faisait sa tournée ... en moto !!!

    Un délice ce petit livre : on apprend beaucoup, on est touché (et on ri souvent) devant tous les témoignages, les objets, les documents présentés.




    Si vous ne connaissez pas le Musée de Retournac, si vous voulez voir leurs nombreuses activités, et toutes les merveilles qu'ils nous proposent,

    allez visiter leur très joli site    ici 



    Mais personnellement, ce que j'admire le plus dans le travail de l'équipe de Retournac, c'est qu'ils ne sont pas uniquement les conservateurs de la dentelle ancienne : ils  ont une formidable énergie qui permet à la dentelle de rayonner, de s'exprimer de mille façons, de tisser des liens avec d'autres pays, d'autres artistes.
    Ils accueillent à bras ouverts la dentelle actuelle, la dentelle moderne, à travers de superbes expositions d'art contemporain

    Admirez par exemples ce qui est présenté dans ce document :  ici
    (Avez vous vu la boite d'insectes en fil électrique ?)


    Vous avez  tout vu ? la dentelle ancienne ? la dentelle contemporaine ?
    Alors je suis tranquille, vous venez de passer un très bon moment !

    Mais sachez maintenant que tout ce travail est en danger.
    Oui, si je vous en parle aujourd'hui, c'est parce que je viens d'apprendre que cette formidable aventure, toutes ces recherches, ces projets, risquaient d'être stoppés, faute de financement.

    J'espère que tous les intervenants trouveront une solution, qu'ils se rendront compte de la chance qu'ils ont d'avoir un tel patrimoine, et un patrimoine si intelligemment mis en valeur.

     (Pour plus d'explications sur la situation, vous pouvez regarder l'édition de France 3 du mercredi 4 mars en cliquant   ici  -  début du reportage à 2mn45  )



    Ce petit article n'a d'autre but que d'apporter mon modeste soutien à l'équipe du Musée, de clamer haut et fort combien j'apprécie tout ce qu'ils font, et combien je compte continuer à en profiter !

    N'hésitez pas à leur apporter votre soutien à l'adresse mail suivante :
    musee@ville-retournac.fr


    (photo Musée de Retournac)



  •  

    Je vous propose un petit jeu :
     

    Parmi ces animaux, quels sont ceux qui ont eu (ou ont encore) leur place dans la technique ou l’histoire de la dentelle ?


    Le mouton

    Le chat

    Le papillon

    La vache

    Le mérou

    Le homard

    Le chien

    Le cheval


    Ne trichez pas, essayez de répondre avant de lire la suite !!






    Les deux plus faciles :


    Le mouton qui donne sa laine.
    Il y a eu beaucoup de dentelles de laine , un peu à toutes les époques et dans tous les pays.



    Le papillon qui donnes ses cocons : les cocons du ver à soie
    Soie qui fut , et est encore, très utilisée pour confectionner les dentelles.
    On la retrouve dans la dentelle de Chantilly, la Blonde, ou la dentelle de Malte (photo de droite) par exemple.


     



    Deux animaux très différents qui ont servi à la même chose : la vache et le homard !

    A Alençon, on utilisait une pince de homard pour lisser certaines parties de la dentelle à l'aiguille et ainsi accentuer les reliefs.

    Des dents de vache ont aussi été utilisées ailleurs pour le même usage.


    N'oublions pas qu'on a aussi utilisé les os pour fabriquer des fuseaux.




    Le cheval a donné sa crinière et sa queue, pour la dentelle aux fuseaux, mais aussi la dentelle à l'aiguille.


    On a fait de la dentelle aux fuseaux en crin de cheval, en Savoie par exemple.
    Dans son livre la dentelle des pays de Savoie (1) Françoise Monneret précise qu'on utilisait des chevaux (de préférence des juments) de la race comtoise dont le crin est de couleur crème (donnant aux dentelles un reflet doré), ou des chevaux noirs de Megève.

    L'utilisation du crin fut aussi la « marque de fabrique » de la dentelle à l'aiguille d'Alençon (les dentelles à l'aiguille belges n'utilisaient pas le crin). 

    Le crin (de cheval blanc) était utilisé pour les reliefs, à la place de la traditionnelle botte de fils.
    Ce crin, qui restait dans la dentelle, lui donnait une cetaine rigidité, une meilleure tenue ... mais au lavage, il avait tendance à déformer la dentelle.
    Les dentellières utilisaient aussi un crin de cheval noir pour exécuter certains points décoratifs (les "modes"), ce crin servait de guide et de support et était retiré ensuite.

    Le crin a aussi servi à rembourrer les carreaux de dentelles.





    Sur cette fleur en dentelle à l'aiguille, on utilisait la pince de homard pour bien "lucher"  (= repasser) le  "rempli"  des pétales et faire ainsi mieux ressortir la "brode"  (= le petit relief qui suit le contour des motifs et à l'intérieur duquel on mettait un crin de cheval blanc) .

    A l'intérieur du coeur de la fleur, un exemple de "mode" , c'est à dire de  point fantaisie très fin, et très décoratif, que l'on réalisait parfois en s'aidant d'un crin de cheval





    Le chien ?  mais oui,   le chien a servi la dentelle : il a fait de la contrebande !
    Voici l'histoire (triste) racontée par Mme Bury Palliser dans son ouvrage « Histoire de la Dentelle » (2)  :

    « A une certaine époque, la Belgique introduisait en France beaucoup de dentelles en fraude à l'aide de chiens dressés tout exprès.On nourrissait grassement un chien en France, puis on le conduisait en Belgique, où il était enchaîné, maltraité, à peine nourri.
    Au bout de quelques temps, on ajustait sur lui la peau d'un chien plus grand et l'on remplissait de dentelles l'espace intermédiaire. Le chien était alors remis en liberté et il prenait en toute hâte le chemin de la France, où le guidait le souvenir de copieuses pitances.
    Cette manoeuvre se renouvela jusqu'à ce qu'enfin la douane française l'éventa et prit des mesures pour y mettre un terme; mais il fallu pour cela plusieurs années et, de 1820 à 1836, on ne détruisit pas moins de 40 278 chiens, une prime de 3 francs par chien ayant été offerte »



    Le mérou ... par contre … je suis au regret de vous dire que, à ma connaissance, il s'est toujours refusé à participer en quoi que ce soit à la confection de la dentelle ! 
    Peut-être certaines d’entre vous ont-elles des informations contraires ?



    Je devrais dire la même chose du chat … mais je crois que beaucoup de chats ont encore aujourd'hui un rôle très important de « gardien de dentelle ».

    En effet, je pense que je ne suis pas la seule dentellière qui soit obligée de mettre un torchon sur son carreau dès qu'elle quitte son travail car le chat va aussitôt se coucher dessus, en plein milieu, là où il y a les épingles  !

    Nous sommes ainsi assurées de retrouver notre dentelle à sa place à notre retour, moyennant une petite négociation, pas toujours facile,  pour expliquer au chat que son rôle est terminé et qu'il doit descendre.



    Ah oui, j'oubliais, il y a aussi un autre mammifère que je n'ai pas évoqué mais dont on a utilisé le "crin" : il s'agit de l'homme  (ou plutôt de la femme) puisqu’il s’est fait des dentelles ..... de cheveux !

     



    (1) François Monneret – La dentelle de Savoie – Editions de l'Edelweiss - 2002
    Très joli livre et très instructif. Un très beau travail de recherche.

    (2) Le mythique ouvrage "Histoire de la Dentelle"  de Mme Bury Palliser. Librairie Firmin Didot - Paris - 1890