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Les chevilles de la Camargo
Après vous avoir présenté la très sage Mme de Sennonnes,
je voulais vous faire découvrir une autre "pensionnaire" du Musée des beaux Arts de Nantes :
La Camargo
La Camargo !!!
La "Brillante" disait Voltaire
Mais aussi la scandaleuse !!!
Car je suis sûre que vous êtes encore sous le choc !
Et oui, éloignez vite vos enfants, cette image de la Camargo, vous en conviendrez, est d'une impudeur sans nom.
Oui! Oui oui, je vous le confirme vous avez bien vu :
la Camargo nous montre .... ses chevilles !!!!!!!
Vous êtes vous jamais demandé comment était né le costume des danseuses ?
J'avoue ne m'être jamais posé la question jusqu'à ce qu'un jour je tombe sur un très intéressant article du journal des ouvrages de dames , article que je vais essayer de vous résumer.
Tout d'abord, nous passerons sur l'époque lointaine où tous les rôles, qu'ils soient masculins ou féminins, étaient joués par des hommes, que ce soit au théatre, à l'opéra ou au ballet.
Ce n'est donc que vers 1680 que l'on commença à permettre aux femmes monter sur scène .
Au grand plaisir du public d'ailleurs , et les rares danseuses de l'époque étaient extrêmement célèbres.
Leur costume ?
Et bien les mêmes que ceux des "grandes dames" .
Il n'était pas question à ce moment là d'adapter le costume de scène au rôle.
C'était au point qu'une danseuse de l'époque acheta la garde robe de la grande tragédienne Adrienne Lecouvreur et dansa tous les soirs le même rôle ... en portant alternativement tous les costumes de tous les rôles qu'avaient joué feu Adrienne.
Mis à part cette petite anecdote, l'essentiel pour les danseuses était de conforter leur prestige et leur célébrité en portant les mêmes costumes que les dames de la cour.
Il n'était donc pas question de montrer un petit bout de jambe : robes longues, corsets et longues manches à engageantes étaient de rigueur.
Guère pratique pour danser tout ça .
Il fallut attendre 1726 pour qu'une jeune danseuse débutante, Marie-Anne Camargo ose raccourcir .... un tout petit peu .... sa robe de danseuse, permettant de faciliter ses mouvements, mais permettant aussi de voir ses chevilles !
On dit que c'est elle aussi qui, la première, aurait enlevé les talons de ses chaussures, inventant ainsi les chaussons de danse.
En tout cas, ses chevilles dévoilées firent véritablement scandale et donnèrent lieu à de nombreux et houleux débats .... mais la jupe "courte" l'emporta malgré tout.
Du coup, les danseuses se crurent tout permis pendant un moment ..... au point qu'il fallut une ordonnance de police pour remettre un peu d'ordre en rappelant que le port du caleçon était obligatoire !!
et tant pis s'il ne facilitait pas les entrechats.
Après la Camargo, ce fut au tour de
Mlle Sallé
de faire scandale
Marie Sallé, "la ravissante" selon Voltaire
en 1736 au Covent Garden de Londres,
elle osa danser sans jupe, ni corset, ni jupon !
vêtue d'une simple robe de mousseline drapée à la grecque ..... autant dire qu'elle dansait ...
presque nue .....
Oh My God !
et de plus, vous allez à peine le croire, mais ... elle avait osé dénoué ses cheveux !
"échevelée et sans aucun ornement sur la tête"
mais le public anglais fut ravi, et on raconte qu'une pluie d'or tomba sur scène à la fin de la représentation.
Hélas, aucun peintre n'immortalisa cette extravagance, et la seule image de Mlle Sallé que j'ai trouvé est fort sage. Je laisse donc la place à votre imagination pour le reste
Mais cette tentative de Marie Sallé n'eut pas de suite.
Les bonnes moeurs, mais aussi, et peut être surtout, le goût des danseuses à se montrer parée des plus belles robes à panier l'emportèrent., et elles refusèrent pendant encore plusieurs années de porter de simples costumes légers .
En 1783, ce fut une cantatrice, la Saint Huberty, qui exigea de jouer le rôle de Didon de Puccini dans un costume antique léger.
On le lui refusera ...
elle provoquera un énorme scandale ....
une véritable affaire d'état, avec ministres et compagnie ....
... pour finalement obtenir gain de cause
Et cette fois ci, contrairement à la tentative de Mlle Sallé, il n'y aura pas de marche arrière, et malgré les protestations des partisans de l'ancien style, les danseuses vont progressivement adopter les voiles, la mousseline et le linon
jusqu'à ce que finalement, en 1832, Marie Taglioni fasse sensation dans le rôle de Sylphide en portant pour la première fois une jupe courte de mousseline, le premier tutu romantique.
Ce tutu romantique aux genoux deviendra progressivement le rigide tutu "plateau " si majestueusement porté ici par Alicia Alonso en 1955
Pour la petite histoire :
Pour arriver progressivement à ce tutu rigide autour de la taille, il manquait une invention , invention que certains attribuent au bonnetier de l'Opéra de Paris, un certain Monsieur .... Maillot !
D'autres contestent cette paternité, mais bon, "se non é vero , e ben trovato" disent les italiens, alors j'aime l'imaginer ainsi.
Et oui, pour laisser tomber les voiles, sans pour autant s'afficher en tenue d'Eve, il fallait inventer le "maillot."
Pour arriver à l'apparence de la nudité, de nombreuses tentatives furent faites avec des caleçons étroits, de couleur rose, mais tout cela n'était pas pratique, et les plis et les coutures enlevaient tout le charme.
Le maillot permettra de raccourcir à l'extrême les robes qui devinrent tutus (le nom viendrait du mot "tulle" dont il est fait) et envahirent l'Europe.
Même le Pape autorisera ce costume dans ses théâtres
à condition que le maillot fut bleu pour éviter toute ... confusion.
Les danseuses avaient donc les jambes bleues !
Voici les quelques vers de Voltaire dédiés eux deux grandes rivales que furent Marie Anne Camargo et Marie Sallé :
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Ah ! Camargo, que vous êtes brillante !
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Mais que Sallé grands Dieux, est ravissante !
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Que vos pas sont légers et que les siens sont doux !
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Elle est inimitable, et vous toujours nouvelle ;
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Les Nymphes sautent comme vous,
Et les Grâces dansent comme elle.
Et à propos de Grâces, franchement, entre nous, vers 1500,
Sandro Boticelli n'avait-il pas déjà créé le plus beau des costumes de danseuses ?
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1 - Détail de La Camargo dansant - Nicola Lancret 1743 - Musée des Beaux Arts de Nantes
2 - Melle Marie Thérèse de Subligny (1666 - 1736) qui brilla dans les opéras de Lully
3 - Mlle Sallé
4 - Marie Tagioni dans Zéphyre et Flore, par Alfred-Edward Chalon.
5 - Alicia Alonso (photographe ?)
6 - Détail du Printemps de Sandro Boticelli (1444-1510). Musée des Offices de Florence
Tags : danseuse, camargo, costume, marie, salle
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