• Un cercueil vers l'Angleterre

      Sophie Dorothea femme de Georges I p300

     

     

      

    S'il est une histoire que j'ai toujours trouvée touchante, c'est celle de l'Angleterre avec la dentelle.

     

    L'Angleterre a aimé la dentelle à la folie

     

    passionnément

     

    et pourtant, ils n'ont jamais eu d'enfant à la hauteur de cet amour.

     

     

    Elle a admiré et acheté sans compter les dentelles du continent, les majestueuses dentelles à l'aiguille italiennes et les douces dentelles flamandes.

     

    Mais la qualité des productions de dentelles anglaises n'a pas réussi à égaler celle de ces productions étrangères et surtout l'Angleterre n'a jamais réussi à créer SA dentelle comme les autres pays, une dentelle aussi prestigieuse que le Point de Venise, le Point de France ou les dentelles de Bruxelles.

    Cet échec n'est pas dû au travail des dentellières, mais bien au manque total d'inspiration des dessinateurs anglais (à quelques rares exceptions près).

     

     

     

    Et cependant, l'Angleterre a donné son nom à une magnifique dentelle : le Point d'Angleterre

     mais il s'agissait en fait d'une dentelle belge, ainsi nommée à cause de son succès auprès des anglais.

     

     

    Tout avait été fait cependant pour promouvoir la production locale et empêcher l'importation des dentelles étrangères.

     Avant 1700 déjà, les mesures protectionnistes s'étaient succédées mais sans aucun succès.

     

      charlesII p200

     

     

    Il faut dire que les plus hautes instances ne donnaient pas l'exemple.

     

    Ainsi Charles II fut-il un des premiers à interdire par décret l'importation des dentelles

    ...

    mais il prit la précaution juste avant  de demander à son tailleur de faire venir tout le métrage nécessaire pour lui bien sûr, mais aussi pour son épouse, sa maman, son frère ... bref, pour toute la famille.

     

    Si le roi lui même se moque de son édit comme de sa première chemise, pourquoi la noblesse n'en ferait-elle pas autant ?

     

    Et effectivement, la cour n'imaginait pas porter autre chose que des dentelles belges, italiennes ou françaises

     

    alors on continua d'importer, mais clandestinement, des mètres et des mètres de dentelles.

     

     

     

     

       

    C'est ainsi que l'industrie de la dentelle donna du travail à un nouveau corps de métier, très bien rémunéré, même s'il présentait c'est vrai quelques risques :

     

    les contrebandiers

     

     

    Ils inventaient mille ruses.

    Tout était bon pour cacher la dentelle qui traversait la Manche : les caisses à double fond bien sûr, mais aussi des bouteilles, des livres, des pains, etc

    Afin qu'ils ne prennent pas froid sur le bateau, sage précaution, les bébés qui voyageaient vers l'Angleterre étaient chaudement emmaillotés .... dans de nombreuses couches de dentelles superposées

     

    Les contrebandiers n'étaient pas les seuls à profiter de ce commerce très lucratif.

    Ainsi Mme Burry Palisser  (1) raconte que "tous les journaux fourmillaient de relations de saisies faites par les douanes. Tout le monde faisait de la contrebande. Un gentilhomme attaché à l'ambassade d'Espagne est débarrassé à son arrivée à Londres de 36 douzaines de chemises ornées de jabots et de manchettes en dentelle de Dresde, et d'une quantité de pièces de dentelles"

     

     

    Charlotte Sophie p350

     

     

    Les agents des douanes fouillaient les ports, les navires. Ils faisaient des descentes chez les marchands pour vérifier l'origine des dentelles, et s'il s'avérait qu'elles provenaient de la contrebande, elles étaient brûlées.

     

     

    Mme Burry Palisser relate aussi que Georges III exigea que la cour porte uniquement des dentelles anglaises à l'occasion du mariage de sa soeur avec le duc de Brunswick.

     

    Et comme la noblesse n'en fit qu'à sa tête,  3 jours avant le mariage, le roi fit enlever toutes les dentelles étrangères. Les magasins furent littéralement vidés, et les douaniers guettaient les belles dames pendant leurs promenades pour leur enlever toute la dentelle qu'elles portaient.

     

    Et si l'on regarde le portrait de l'épouse de Georges III à droite,  on voit que les dames de l'époque était bel et bien couvertes de dentelles.

     

     

     

     

     

     

     

     

    Mais la technique de contrebande la plus célèbre fut

    l'utilisation des cercueils !

     

    Ainsi, quand un sujet britannique mourrait sur le continent, on en profitait pour bourrer de dentelles la place libre laissée dans le cercueil qui le ramenait sur son île natale.

    Ce fut le cas du cercueil de l'évêque Atterbury qui contenait pour 6000 livres de Point de France.

    La technique se révéla si lucrative qu'on en vint même à ne plus ramener le corps qui , à l'évidence, prenait trop de place au détriment des ballots de dentelle.

     

      Georges II p200

     

        Ce fut donc une joyeuse pagaille pendant de nombreuses années, d'autant que les périodes de protectionnisme alternaient avec des périodes pendant lesquelles on autorisait à nouveau les importations, la production locale se révélant insuffisante.

     

    C'est bien Venise, la France et Bruxelles qui régnaient sur l'Angleterre !

       

    Ainsi, Georges II

    (c'est aussi le petit garçon que l'on voit avec sa maman en début d'article)

    n'hésite-t-il pas à poser avec un magnifique rabat en gros point de Venise.

     

     

     

     

     

    En 1806, c'est Napoléon qui donnera un petit coup de main (involontaire) à l'industrie dentellière britannique, avec un décret qui interdisait tout commerce avec l'Angleterre.

     

    C'est à cette même époque, XIXe début XXeque l'on vit se détacher du lot les noms connus de la dentelle anglaise : la Bucks (encore que ...), la Bedforshire ou la Honiton par exemple.

     

     

    Mais c'était trop tard

    la dentelle mécanique était déjà là.

     

    Elle était même là depuis longtemps puisque l'Angleterre fut le berceau de la mécanique.

     

    Et oui,  les contrebandiers ne manquaient pas de travail, car en même temps qu'ils ramenaient en Angleterre les dentelles main .... ils rentabilisaient le voyage retour en faisant passer en France les métiers à dentelle mécaniques.

     

     

    Une dernière petite photo pour vous montrer que la noblesse anglaise n'a pas changé.

     

    Quand la queen veut se mettre sur son 31, vous remarquerez qu'elle porte encore une robe de dentelle, même s'il s'agit ici de dentelle mécanique

     

    .... il faut bien vivre avec son temps

     

      queenelizabethii p200

     

     

     

    Je profite de ce petit billet pour prendre officiellement la défense de la Queen anglaise.

    si si , j'y tiens

     

    Dès qu'on la voit, on se fait un devoir de pouffer devant ses tenues.

    Et bien je me souviens, lors du congrès OIDFA en Angleterre il y a quelques années, avoir visité une expo sur les robes de la reine.

    Je suis entrée dans la salle le front altier et l'air moqueur , comme il se doit ...

     

     et bien .... pan sur mon bec ..... 

    elles étaient magnifiques ces robes !

     

    Certes, certaines étaient d'une couleur un peu kitsh, mais ce n'était pas du tout la majorité.

    Alors bien sûr, cette pauvre reine n'a pas  (comme moi )   la silhouette de Claudia Shiffer,

    et surtout les petites photos dans les magasines ne permettent pas de voir les détails, la coupe, les broderies, les perles, etc.

    on pense qu'elle est mal fagotée, mais croyez moi .... elle sait se faire plaisir avec ses robes ! 

     

     

     

    L'Angleterre n'avait pas le monopole de la contrebande de dentelle, souvenez vous de la technique des chiens entre la France et la Belgique, ici

      guirlande_fleur.gif

     

    Comme d'hab',  la liste des acteurs dans l'ordre de leur apparition à l'écran :

     

    Sophie Dorothée, épouse de Georges 1er . Portrait attribué à  Jacques Vaillant vers 1691 Bomann-Museum Celle

    Charles II par Wright. 1660. Collection de la famille royale britannique. C'est un roi cherà mon coeur puisqu'il donnera son nom au Cavalier King Charles .... et que, avant papillon, c'est une petite rouquine de cette race qui protégeait mes dentelles.

    La reine Sophie Charlotte, épouse de Georges III  par  Johann Zoffany 1744 Holburne Museum of Art

    Georges II  par Sir Godfrey Kneller 1716

    Elisabeth II

     

     

    (1) Mme Bury Palisser, Histoire de la dentelle, Librairie Firmin Didot, 1890

    Pour cet article, je me suis aussi inspirée du livre de Marine Bruggeman, l'Europe de la dentelle. Stichting Kunstboek 1997

     


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